14/06/2011

Du côté de chez Tony

Regard sur une levée de rideau - par Danielle Bellini


acte I : Levée de rideau


Que nos coeurs chaque jour
s'ouvrent à la fraîcheur et à l'éclat des coquelicots
à ces fragiles taches rouges

Connaissez vous ce jeu… la sardine, oui, le jeu de la sardine ? Il s’agit d’un jeu de cache cache inversé. Plutôt qu’un joueur se cache et que les autres joueurs partent à sa recherche, et bien la sardine se joue dans le noir le plus complet possible. Un joueur commence à se cacher seul puis les autres le rejoignent au fur et à mesure et il s’entassent ainsi comme des sardines jusqu’à ce que le dernier les découvre tous. La sardine ! oui  je l’avais sur le bout de la langue, je ne m’en souvenais plus… je la cherchais depuis ce jeudi matin où nous étions tous réunis, serrés en semble dans le noir d’une épicerie, à attendre que Tony lève le rideau, lève enfin ce satané rideau. Dans le noir, cette épicerie devint un lieu improbable pleine d’ odeurs. Je la connais cette odeur, odeur salée de fromage de chèvre et de jambon de montagne. Cette odeur des épiceries du Piémont de mon enfance, ou celles du placard de Miguel en Andalousie ! La même odeur qui promet du rire, du soleil et des siestes pesantes.

Juste avant que la lumière ne s’éteigne Brigitte nous a brieffés une dernière fois. Dernières consignes déjà répétées, ne pas faire de bruit, attendre, étincelle, applaudir et pfitt disparaître, vite disparaitre…
 L’excitation monte, le buffet disparait avant nous, le noir nous submerge.

Fou rire, rapprochement des corps, chuchotements…
- et toi tu as éteint ton portable ?
- ah oui il faut éteindre les portables !
- mais non pas toi David !
- mais non pas moi, j’attends le coup de fil de mon oncle c’est lui qui nous prévient  dès que papa arrive…
- il est pas cardiaque ton père au moins ?
- si …
- quoi ?
- non !
- chut !  Que se passe-t-il ?
- rien
un enfant pleure…
- chut !!!
- mettez lui un p’tit coup de porto sur sa tétine !  
Fou rire encore.
- Venez Madame rapprochez vous, ne restez pas dans le fond de la boutique, n’ayez pas peur, je vous conduis à un autre fauteuil, au premier rang !
- chut !
- chut !
- le voilà !

On entend la clé pénétrer dans la serrure du rideau de fer. Le voilà. Nous avons le trac et spontanément nous nous resserrons encore les uns contre les autres. Nous sommes prêts ! Nous vivons cet instant d’éternité, cet instant magique, vous savez quand on est dans une salle de spectacle, le noir vient de tomber et on attend patiemment que le rideau se lève sur l’artiste attendu : Tony ! ou alors…
ou alors les artistes c’est nous, mais oui c’est nous !  Ne nous sommes-nous pas concertés, n’ avons-nous pas  décidé la mise en scène ? Répété nos déplacements ? Maintenant nous avons le trac !
Notre Very Important Public vient de soulever le rideau, tonnerre d’applaudissements ! Il sursaute, nous disparaissons.

Eblouissement, course, klaxon de camion, les rires encore. Et Jando qui arrive, furax, un camion s’est posté devant lui alors qu’il filmait en coulisse l’arrivée de Tony !

acte II : cadeau

à ces larmes de vie
que personne ne provoque
et qui viennent pourtant
imprévisibles

Nous nous sommes retrouvés les mêmes ce matin, pour  le 2è acte. Gamins inlassables prêts à toutes les aventures ! Tony ne cache ni sa surprise ni son émotion quand il nous voit arriver vers lui, chantant à tue tête les chansons qu’il aime… le rêve continue… pour lui, pour nous….
 les fleurs, la danse avec Brigitte et les Souffleurs qui l’emmènent seul dans un endroit paisible. Il ne connait pas les règles du jeu si ce n’est celle de se laisser désormais guider…

Cet homme, assigné à demeurer dans l’espace invisible d’un travail qui ne laisse pas le temps de faire autre chose, Tony, assis sur un banc sous un tilleul, prend ce temps. Il écoute et comprend combien ces vers d’ Antonio Ramos Rosa, de Christian Bobin, de Marmoud Darwish, de Fernando Pessoa lui étaient destinés. Il est présent à ce rendez vous venu du ciel, un parapluie le protège.

Je m’éclipse, par pudeur, par respect… Je laisse les Souffleurs dans l’intime bulle qu’ils ont subtilement créée, les larmes me montent aux yeux.  Tony, lui, demeure suspendu à chaque parole murmurée à son oreille.
Lui parviennent celles d’un fado chanté par Antonio Zambujo:

Para que quero eu olhos,

senhora santa Luzia,
se eu nao vejo meu amor,

Je les laisse dans cet état de grâce…

De retour dans le marché plus que jamais bruyant, je rejoins la famille, les amis de Tony. Du monde dans le stand, autour. Les regards s’échangent, les yeux brillent, ils attendent le retour de l’élu. Les amis me saluent et cerise sur le gâteau, je reçois un cadeau : une boite de sardine !

Alors cette sardine, hum, que je déguste à présent sur une tranche de pain grillée et un petit verre de vinho verde me fait autant voyager qu’une petite madeleine trempée jadis dans une tasse de thé.  
au beau milieu des champs
au beau milieu des jours
de nos jours
Christian Bobin

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